Il ne pouvait plus se retenir… sortir… oui sortir…
alors sans bruit, le moindre mouvement réveille toute la famille.
Il entrebaîlle la porte, elle grince un peu… il fait encore nuit.
Quelques marches de bois à descendre ….
le pied est déjà dans la rosée. Il ne fait pas froid.
… pas le temps d’aller plus loin… derrière le bosquet…
Trop tard !
José fait son pipi là où il est … Un peu sur son pantalon trop court.
La peur tout à coup… seul dans la nuit…
Il sent comme une présence, se retourne doucement… et il voit le
petit rideau de la fenêtre danser un peu. Il aperçoit la silhouette
du visage régulier de sa mère… comme toujours elle le veille !
Si rassurante, si généreuse. Elle ne l’appelle que par ‘ mon José’.
Il aime ça. Beaucoup.
Il regagne vite, vite … sa roulotte… enjambe Chino, son frère.
Il est plus jeune. Trop jeune. Et surtout trop brusque !
« Parce que quand il est né, il pesait 5 kilos. » disait son père.
Ce n’était pas une raison, selon José.
Sa mère avait failli en mourir à l’accouchement.
Alors elle leur racontait très souvent leur naissance :
d’abord Joséphine, elle avait tant de cheveux,
déjà si bruns si beaux.
Puis Adèle et ses yeux bleus. Elise et ses pleurs jours et nuits.
Goulue au sein, mais adorable quand elle voulait bien sourire !
Et enfin Dolorès, la petite dernière. Celle que l’on protège à vie
parce qu’elle restera toute petite, c’est certain.
Leur père approuvait ses dires, en attisant
le feu de bois. Il était beau, très beau. Brun. Non, noir brillant.
Ses yeux turquoise, oui, turquoise !
Il préparait si bien le civet de garenne, le petit lapin pris au collet
le matin même … avec du thym de la colline.
José aimait le voir préparer le feu de bois.
Quand il sera grand, c’est lui qui l’allumera, en attendant,
il ramasse les petits morceaux de bois… que 6 ans !
Ses cheveux étaient noirs bouclés, sentaient
bon le feu de bois. Oui très bon même. L’école, il y allait mais
jamais dans la même. Au gré des saisons. A la saison des cerises,
la roulotte s’arrêtait près de Perpignan. C’était les cerises …
Tous participaient. Chacun avait son panier… tressé par leur père
aux yeux turquoise… oui, turquoise
Le propriétaire qui les ‘louait’ le nommait ‘beau gitan’.
« Oh ! beau gitan. » … combien de fois dans une journée…
« Oh ! beau gitan. »… il avait oublié qu’il s’appelait Jean.
‘Beau gitan’ sonnait plus vrai.
Et Françoise ? Il l’appelait « Madame. »
Il ne pouvait lui dire autrement. Elle lui en imposait !
Elle rayonnait avec sa marmaille, des caresses et des mots doux.
Pour tous.
Elle rayonnait quand elle revenait des campagnes, ses longues
jupes l’une sur l’autre, un châle et des paniers lourds de draps Ã
vendre et de dentelles faites à la main.
Elle rayonnait quand elle regardait Jean. Son ‘beau gitan’ à elle.
La roulotte n’avait jamais permis d’intimité,
mais elle était en son cœur.
Leur vie ? elle était dure ? non ! Pas pour eux .
Ils étaient libres, ils étaient ensemble, forts, heureux.
Après les cerises, il y avait les moissons, il y
avait les vendanges de La Londe et les châtaignes de Cogolin
Des gens fidèles, contents de la revoir…
« déjà une année … » lls avaient toujours besoin d’un peu de
dentelle et parfois d’une paire de draps.
« Merci, le Bon Dieu vous le rendra » promettait Françoise en
guise d’au revoir.
Ce soir là , José regardait avec inquiétude
ses parents assis devant la roulotte, tressant des paniers.
Sa mère parlait à voix basse. Son père l’écoutait, mais il n’avait
pas ce sourire dont il l’enveloppait si souvent.
Il remuait la tête, mais dans tous les sens, sans dire oui
sans dire non. Ils parlaient en espagnol. Voilà ce qu’on était
dans cette famille : des gitans espagnols. Gitans espagnols.
La fierté en héritage et en plus le don inné de la guitare.
Il fallait voir les filles danser le flamenco … le feu crépitait,
la guitare se déchaînait et la fête commençait. Les jupes
s’enroulaient autour des fillettes, faisant partir des étincelles
du foyer dont elles étaient trop près. Une féerie !
José tapait dans ses mains et faisait
claquer ses doigts … clac, clac , clac … clac, clac… sur un rythme
qui lui venait du fond du temps. Chino aussi, mais moins fort !
Mais son père venait d’arrêter de hocher la tête dans tous les
sens.
Il rentra dans la roulotte, en ressortit avec une enveloppe et une
feuille de papier. Sa mère ne savait pas vraiment lire…
alors son père lui expliqua le contenu, en le lisant lentement
ponctuant sa voix par des gestes de la main … se grattant la
tête … se lissant les moustaches. Sa mère se mit à pleurer.
José ne l’avait jamais vue ainsi. Il avait bien
entendu les derniers mots : …un arrêté…gens du
voyage…interdit.
Ca ne voulait rien dire, et si sa mère n’avait pas pleuré, il aurait
pensé que ce n’était rien.
Ce soir là , la famille s’est couchée tôt, dans un
ordre bien établi, chacun sa place … sa couverture.
« Demain il fera beau. » pensa José.
Six mois se sont passés… la famille s’est
couchée très tôt, comme tous les soirs depuis quelque temps.
chacun sa chambre, ou presque.
José s’est endormi en pleurant…
‘On ne pleure plus quand on a 7 ans .’ lui a t-on dit, le jour de
son anniversaire, il y a trois jours.
Il a pleuré quand même… sa roulotte avançait dans sa tête, dans
son âme… l’emmenant encore dans des régions inconnues…
d’autres paysages… une nouvelle maîtresse… on dînait dehors…
on jouait avec rien… C’était fini. Fini.
Il n’oubliera jamais la question de sa
nouvelle maîtresse : ‘ où habites-tu ,José ?’ il s’est entendu
répondre d’une voix grave, d’adulte :
‘HLM Les Dardanelles, appartement 28.’
Pour la première fois de sa vie, le petit José de 7 ans, a eu honte
Mais il n’a pas pleuré !
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