Une autre voie
Soixante ans…
A avancer tête baissée, poings serrés,
En moi, cet indicible doute,
De faire fausse route.
Soixante ans…
A repousser ce face à face,
A éviter les miroirs,
A fuir mon regard.
Soixante ans…
Temps où on se pose,
Où plus rien ne s’oppose.
Aujourd’hui, J’ose
Me mirer dans mon miroir.
Aujourd’hui, J’ose,
Mes failles,
Ma fragilité,
Mes fêlures,
Adopter.
Aujourd’hui,
J’ose ne pas oser.
Attristée, je me pose.
S’enchaîne, autour de moi,
Une suite sans fin, de regrets,
Un chapelet de peines,
Un torrent de larmes,
Un profond désespoir.
Et ce temps, ce temps implacable
Qu’on ne peut remonter,
Ces moments de vie perdus,
Ce cortège de ‘si j’avais su’.
Puis, cette question lancinante,
Ce dernier tiers temps,
Comment le voyager ?
Une autre voie…
A la brocante des sentiments,
J’ai troqué ma capeline de fierté
Pour une parka d’humilité.
A la consigne des souvenirs déçus,
J’ai déposé mes regrets
Comme tant d’autres, avant moi.
A la fête des années mal vécues,
J’ai enguirlandé mes espoirs déçus,
Dans le temps suspendu.
Au concert des paumés,
J’ai écouté pleurer les violons.
Assise, recueillie, envoûtée,
J’ai laissé vibrer ma peine.
Reste en moi, sourde, insidieuse,
Cachée, travestie, en retrait,
Ma colère, ce poison, cette drogue,
Cette force, ce dernier rempart.
En mots, bruts, sans fioritures,
En mots lancés, jaillis, épinglés,
En mots jetés en désordre total,
Ma colère, en mots, je l’ai
Crachée, jetée, larguée, lâchée.
Des mots défiant le temps,
Tellement vrais, puissants,
Tellement forts, vibrants,
Tellement déchirants.
Soixante ans…
Des mots…
Une clé, un cadenas, un déclic,
Un fatras de ferraille.
Mes chaînes si lourdes
Se sont effondrées,
Dans un vacarme assourdissant.
Soixante ans…
Mais, comment vivre
Sans ce rempart.
En moi, le vide,
En moi, le vertige.
Une autre voie…
Comme un rempart au désespoir,
Chaque jour, choisir ses mots.
Passer de mots lourds, tranchants,
Aux mots légers, touchants.
Laisser les mots brûlants de fièvre,
Accrocher les mots apaisants.
Préférer les mots chatoyants,
Aux mots sombres.
Dérouler ses jours en mots,
Amicaux, bienveillants, chaleureux,
Apaisants, consolants, réconfortants,
Éblouissants, séduisants, resplendissants,
Souriants, distrayants, grisants,
Et crouler le rempart.
Une pensée émue, peinée,
Pour tous ces malheureux,
Qui ont vu leur destin basculé,
Parce qu’aucune fée,
Aucun bon lutin,
N’a su les en préserver.
Une pensée amie,
Pour tous ceux en souffrance,
En quête de leur vérité,
Pour avancer en paix.
Juste quelques mots,
Pour moi, pour eux, pour vous,
Comme une lumière, un flambeau,
Le bout du tunnel.
Juste ma vérité,
Juste une vie,
Juste une expérience,
Juste une main tendue,
Juste une lueur d’espoir.