JE ME SOUVIENS...
Dans mes lointains souvenirs d'écolier,
Aux jours de mon enfance en tablier,
En blouse aux manches mangeant les mains,
Souvent trop grandes pour des gamins...
Je me souviens, résurgence mélancolique,
De votre beau visage au sourire biblique
Egrainer nos noms pour un appel matinal,
Avec parfois un mot, un geste amical,
Pour celui, distrait et oublieux de l'instant,
Rêvant en cette fin d'été à d'autres printemps.
Je me souviens encore, plaisante mémoire
Soufflant la poussière de ce vivant grimoire,
Pour y retrouver quelques images floues,
Evanescence de ce temps aux ans si doux.
Je me souviens de vous, maîtresse d'école,
Maîtresse surtout d'une classe de drôles,
Animaux singuliers de ce cirque scolaire,
Domptés par la voix de vos brèves colères
Lorsqu'un souffle rebelle s'élevait de nos bancs,
Pauvres pygmées conduits à rentrer dans les rangs.
Je me souviens, ode héroïque au savoir,
De votre patience pour l'enfant face au devoir,
Peinant pour extirper de la leçon l'essence,
Cherchant par votre voix en comprendre le sens;
Sourire soudain au bout de vos soins,
Et écrire avec application sous votre regard témoin,
La langue tirée, l'expression tranquille
De celui qui, enfin, découvre son graal juvénile.
Je me souviens remontant à ce temps clos,
Le bruit de la craie crissant au tableau,
Faire naître sous nos yeux, d'une écriture élégante,
Des règles et des lois d'une grammaire pédante,
Reprise par nos plumes à l'encre violette,
Forger les mots sur l'enclume muette
De chacun des carreaux de nos cahiers d'écolier,
Et tremper l'acier de futurs bacheliers.
Je me souviens, ombres vivantes d'antan,
De nos joies et de nos peines d'enfant,
De nos rires et nos larmes partagés
Nous laissant pareil à des naufragés,
Seul, debout, cherchant au milieu de ses congénères
À déclamer un poème d'Apollinaire.
Quel effort pour nous de décliner les rimes !
Quel effroi de se sentir victime !
Je me souviens de ce terreau où puisent mes racines,
De ces lieux, ces êtres qu'encore je devine,
Des odeurs d'encre, de bois et de papier,
Subtil mélange accroché aux basques du calendrier.
L'œuvre du temps qui toujours nous accable,
Où l'on croise le sublime et l'intolérable,
N'effacera jamais de ma mémoire parfois défaillante,
Ces jours où erre mon âme mendiante,
Abreuvée et nourrie dans cette cuisine boulimique,
Aimée et haïe : l'école de la république.
Ruben
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Pendant que l'on attend de vivre, la vie passe.
SÉNÈQUE.Ruben