Dans la ruelle au pied de mon H.L.M demeurait un sans-abri aux traits fatigués. Chaque jour, sortant pour acheter mon journal, j’évitais soigneusement son regard insistant. Cette mascarade se poursuivit quelques années et prit fin lorsque, par un froid matin, je l’entendis murmurer quelques vers de Verlaine. Le ton était inadéquat et le rythme avili, mais je reconnus « l’Eté ». Je baissai les yeux et rencontrai les siens. Depuis ce jour, d’un accord tacite, je le retrouvais chaque matin et nous déclamions quelques poèmes. A travers ces vers, nous traversions l’humanité. Il me confiait souvent sa préférence pour François Villon, l’émotion de ses vers et la force de ses expériences. Il connaissait plusieurs de ses compositions par cœur et les récitait sans accroc. Par une chaude matinée de juillet, je l’aperçus à terre, inerte. Plus tard, j’appris qu’il était un ancien bagnard condamné pour vol avec effraction et homicide involontaire. Et quand je m’appuyai sur sa tombe pour y déposer un coquelicot, je fredonnai quelques vers de « la Ballade des Pendus ».
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"Overhead the albatros hangs motionless upon the air
And deep beneath the rolling waves
In labyrinths of coral caves"
Roger Waters, from Pink Floyd, in "Echoes", in Meddle