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Histoire de Sindbad le Marin (Quatrième voyage)
Histoire de Sindbad le marin (Prélude) Histoire de Sindbad le marin (Premier voyage) Histoire de Sindbad le marin (Deuxième voyage) Histoire de Sindbad le marin (Troisième voyage)
Quatrième voyage de Sindbad le marin
Sindbad reprit : « La mer, bien qu’elle soit inconstante, Nous fut propice et de nous accueillir contente, Et le capitaine de moi s’étant souvenu, Alors qu’il me croyait défunt, me reconnut. C’était celui qui me laissa par méprise Sur l’île où je m’étais endormi. Sa surprise Etait égale à la mienne, et il me rendit Tous mes biens, et avec étonnement entendit Le riche récit de mon voyage et de mes peines. Je fis du commerce et j’en eus la bourse pleine, Et encore plus riche, je revins au pays. » Et il se tut, par les souvenirs comme assailli, Et les convives qui, eux aussi, se turent Songeaient tous à ses trois hasardeuses aventures. Il donna à Hindbad les cent sequins promis Et lui dit : « Revenez demain, mon cher ami. »
Le jour suivant, Sindbad dit : « Mon âme était lasse Plus vite que l’autre fois, de me voir sur place, Préférant la terre ferme au profond océan. Je m’ennuyais chaque jour de demeurer céans Et décidai de m’en aller faire du commerce. Appesanti de biens, je pris la route de Perse Et j’arrivai à un port où je m’embarquai. Nous fûmes surpris d’un vent fort qui nous attaquait Et grondait, pareil à un démon des abysses. Le capitaine usa de mille artifices Mais malgré son savoir-faire, ne put contrôler Le vaisseau par les flots et les houles affolé Qui heurta des récifs acérés comme des lames. Quand il fut brisé maints marchands rendirent l’âme, Notre capitaine, bien qu’il fût un homme adroit, Périt aussi. Malgré notre indicible effroi, Nous restâmes, moi et quelques autres matelots, en vie ; A une planche, par la houle au navire ravie, Nous nous accrochâmes, et fûmes par le vif courant Emportés vers une île où nous trouvâmes, mourants De faim et de soif, des fruits et de l’eau de source. Nous nous y reposâmes de la sombre course Des flots, toute la nuit, résignés au destin, Comme stupéfaits et de notre sort incertains. Le lendemain, avec le jour nous nous levâmes Et dans l’eau d’un menu ruisseau nous nous lavâmes. Nos pas nous conduisirent fort loin des flots furieux Et nous aperçûmes des foyers mystérieux Où nous nous rendîmes. Des noirs aux visages sombres A notre arrivée vinrent à nous en grand nombre, Ils se saisirent de nous, nous partagèrent en deux, Et nous emmenèrent à leurs demeures avec eux.
Je fus mené avec cinq hommes par ces fourbes Qui nous firent asseoir et nous servirent une herbe En nous invitant par des signes à en manger. Ils semblaient accueillir ainsi les étrangers. Mes pauvres camarades, hélas ! ne consultèrent Que leur faim, et sur ces mets tous se jetèrent Avec empressement et grande avidité. Je m’en abstins malgré toute la lividité De mon front, et ma faim sans cesse grandissante Qui rendait ma couleur toute pâlissante, Et je vis que j’étais le plus sage parmi nous, Car mes compagnons, comme s’ils étaient devenus fous, Eurent l’esprit tourné et dirent des choses absurdes Et à mes propos leurs oreilles semblaient sourdes. On nous servit ensuite du riz fort odorant ; Je vis les autres, sans raison, le dévorant Et se battant pour en recueillir les miettes. J’en mangeai fort peu pour ne point perdre la tête Et je compris ensuite quel était le dessein De ces anthropophages, qui nous voulaient bien sains Mais sans connaissance de notre destinée. Cette séduisante herbe qu’ils nous avaient donnée Etait une drogue qui détruisait l’esprit De leurs victimes, quant à ce sinistre riz, Ils le leur servaient pour les rendre plus grasses. Je sus même, après, que ceux de cette sombre race Qui ne trouvaient point de voyageurs à dîner De manger leurs pareils n’étaient pas chagrinés. Voyant que je devenais plus maigre, ils cessèrent De s’occuper de moi, et même me laissèrent Sortir du foyer. Mes camarades furent soupés Et je pus, quant à moi, sans peine m’échapper. Un vieillard me vit, et doutant de ma fuite Me cria de rester. Je l’ignorai, ensuite Je marchai, loin de tous les endroits habités Que je pris, pendant sept jours, grand soin d’éviter. Je vivais de cocos, repas et breuvage, Et j’avais tellement peur de revoir ces sauvages Que je m’endormais fort peu quand la nuit tombait. Je songeais que jamais moi je ne succombais Et que Dieu me châtiait pour mon insolence.
Au huitième jour, j’errais avec nonchalance Quand je vis des hommes qui comme moi étaient blancs Et cueillaient du poivre. Je m’approchais, allant A eux. Ils me parlèrent dans ma langue chérie Et, voyant ma pâleur et ma mine maigrie, Me demandèrent ce qui me mit dans cet état. D’être sauvé des Noirs on me félicita Et l’on entendit mon récit avec merveille Car mon histoire à nulle autre n’était pareille, A ce peuple barbare nul homme ne survivant, Et ces braves récolteurs m’écoutèrent en rêvant.
Avec ces hommes éblouis par mes aventures Qui partagèrent avec moi leur nourriture Je demeurai jusqu’à la fin de leur labeur En respirant avec eux la tonique odeur De ce bon poivre qu’ils cueillaient avec adresse Et, malgré l’ombre et le soleil, sans paresse. Je m’en allai avec eux sur le bâtiment Qui les amena, et nous naviguâmes calmement Jusqu’à une autre île qui était leur terre. A leur roi, un brave prince, ils me présentèrent. Il eut la patience d’écouter mon récit En fut surpris, et se montrant fort bon aussi, Me donna des habits et une bien belle demeure. L’île était emplie d’hommes et, à toutes les heures, On y voyait un grand nombre de commerçants. Le bon air de ce doux asile me berçant, Mes forces me revinrent, et j’avais la chance D’être le sujet de ce généreux prince Qui me combla de mille largesses. Loin des dangers, Je n’étais plus perçu comme un humble étranger Mais comme un homme de cette île douce et solitaire.
Une chose me sembla fort extraordinaire : Tous les habitants, du roi jusqu’aux ouvriers, Montaient à cheval sans bride et sans étriers, Et je vis l’étonnement sur le blanc visage Du roi, qui me dit qu’il en ignorait l’usage Quand je lui demandai pourquoi sa majesté Ne se servait point de toutes ces commodités. Un ouvrier me fit dresser le bois d’une selle Quand je lui dessinai le portrait d’icelle, Que je garnis de bourre et de cuir, et ornai D’une broderie d’or qui au soleil rayonnait. Un serrurier, qui fut surpris de ma requête, Me fit un mors et des étriers. Enfin prête, J’allai présenter au bon roi mon invention. Sur un de ses plus beaux chevaux j’eus l’intention De l’expérimenter. Surpris de ma sagesse, Le roi, content, eut pour moi de grandes largesses. J’en fis aussi pour ses ministres et officiers Et pour de grands seigneurs, et je fus remercié Par de magnifiques présents qui m’enrichirent Et dans le faste et le repos m’avachirent ; Dans toute l’île je devins un marchand réputé Et des humbles comme des seigneurs respecté.
Le roi me dit un jour : « Mes sujets te chérissent Comme je te chéris, et tes affaires fleurissent ; J’en suis content pour toi. Sans vouloir te presser, J’ai, mon cher Sindbad, une prière à t’adresser. » « Soyez assuré de ma pleine obéissance, De ma loyauté et de ma reconnaissance, Sire. Et sachez que faire tout ce qui vous plaira Me sera doux, et que votre altesse me verra Honoré d’exaucer toutes ses prières. » Lui répondis-je. « A une dame belle et point fière, Répliqua le roi, je veux que tu sois marié. Elle t’aimera et tu ne seras point contrarié Par ses caprices ; elle est d’une grande retenue. Chaque fois que ta patrie te sera revenue Dans ses bras bien-aimants tu seras consolé. » A ma douce patrie je rêvais de m’envoler Et bien que mon séjour me fût agréable Et ma femme fort belle, sage, riche et noble, Je voulais partir à la première occasion, Comme si mon destin sombre, avec dérision, Chaque fois que j’étais serein, raillant mon zèle, Me faisait naître, à la place des pieds, des ailes.
Je songeais ainsi quand la femme de mon voisin Qui devint mon ami, lui mourut un matin Car elle était malade et plus que lui vieille. J’allai le consoler. Sa tristesse sans pareille Etait si grande que j’en fus comme étonné. Ému, je lui dis : « Le Seigneur nous a donné La vie, et il peut quand il lui plaît la reprendre. Que la tienne soit longue, et que cette amitié tendre Dans l’éternité puisse aussi vous réunir. » « Qu’elle soit longue ! Hélas, elle va bientôt finir ! S’écria mon voisin, plein d’amertume. Sindbad, tu ne connais pas encore nos coutumes, On enterre la femme morte et le mari vivant Et quand il meurt elle va, au tombeau le suivant. Je vais être enterré donc avec ma femme. » De cette coutume barbare et infâme Je tremblai en plaignant mon ami abattu. Le cadavre de sa femme fut revêtu De tous ses joyaux et de ses habits de noces, Elle fut transportée dans un grand carrosse, Son mari à la tête du deuil, jusqu’à un mont Dont le sommet semblait l’antre d’un noir démon. On y leva une pierre qui couvrait l’ouverture D’un puits profond comme un abîme, dont l’étroiture Ne laissait passer qu’une seule personne à la fois. Le pauvre homme tremblait, malgré toute sa foi. On descendit la morte et, sans aucun reproche, Il embrassa tous ses amis et tous ses proches Et on le mit dans une bière, vivant fardeau, Avec, auprès de lui, sept pains et un pot d’eau. Il suivit sa femme. Quand la cérémonie A la fois cruelle et étrange, fut finie, On remit la pierre sur le puits et on alla En laissant le mort et la morte ensemble là .
J’allai au roi, frappé de ces funérailles Qui me révoltaient et remuaient mes entrailles Et dont les spectateurs ne furent point touchés. Avec une colère que je peinais à cacher Je lui dis : « Majesté, souffrez que je m’étonne De cette cruelle coutume que votre altesse, si bonne, Tolère dans ses États, permettant d’enterrer Les vivants et les morts. Il faut s’en libérer, Sire, de cette loi sombre et inhumaine. » « Toute opposition à cette loi est vaine, Répondit le roi. De nos ancêtres elle nous vient, Je suis aussi soumis à cet usage ancien Que le plus humble de mes sujets ; pour te plaire, Mon cher ami, je ne puis, hélas ! rien faire. » « Mais, sire, lui dis-je, pouvez-vous en sauver Les étrangers comme moi, ou doivent-ils l’observer ? » Et le roi repartit : « Eux aussi s’y conforment Lorsqu’ils sont mariés dans cette île. » Plein d’alarmes, Je revins au foyer, tremblant de voir souffrir Ma femme de la moindre maladie, et mourir Pour qu’on m’enterrât tout vivant avec elle. Comme elle était déjà d’une constitution frêle, Elle tomba malade et mourut en peu de jours. Il est vrai que j’avais pour elle quelque amour, Mais ma mort m’emplissait de plus de tristesse. Ô, horreur ! Trépasser avant la vieillesse, Enterré tout vif ! Me consolant tendrement, Le roi vint avec sa cour à mon enterrement, Ainsi que les personnes les plus considérables De la ville. Ma fin approchait, déplorable, Et je ne pouvais plus rien faire. Résigné A mon triste sort, et les yeux de pleurs baignés, En vain je suppliai cette cruelle assemblée. J’allai avec ma femme dans la tombe esseulée Et on n’oublia pas, funeste dérision ! Comme mon voisin, de ma laisser des provisions.
Je me trouvai dans une grotte vaste et puante A cause des morts, qui pouvait avoir cinquante Coudées de profondeur. Je sortis promptement De ma bière, gémissant dans l’ombre inutilement. « Voilà à quel trépas le Seigneur te destine ! Me disais-je. Malgré la clémence divine, Qui à te sauver, fou, maintes fois consentit, De tes péchés tu ne t’es jamais repenti ! Loin des tiens, avec ces morts, meurs, imbécile ! Meurs loin de ton foyer, meurs loin de ta ville, Oublié de tous ! Tel est le décret du ciel, Car tu mérites le courroux providentiel ! A quoi bon amasser toutes ces richesses Et courir les mers, comme tu l’as fait, sans cesse ? Il n’y a plus d’océans et il n’y a plus de ports Et tout ce qui t’attend, maintenant, c’est la mort. »
Malgré mon désespoir et toute ma rage, Après quelques moments je repris courage Et au lieu d’appeler la mort à mon secours Décidai tenacement de prolonger mes jours. Oubliant mon dégoût de ce cimetière, Je pris le pain et l’eau qui étaient dans ma bière Et en mangeai un peu. Une grande obscurité Me cachait, presque avec la même austérité Que la nuit, du jour les rayons bénéfiques. Il me sembla toutefois que cette grotte antique Etait plus spacieuse que je ne l’avais cru. Mes provisions finies, mon trépas me parut Tout proche. J’entendis soudain lever la pierre ; La mort et la peur sont de sombres conseillères, Le défunt était un homme, et sa femme en pleurs Criait et gémissait d’effroi et de douleur. J’avais l’esprit brouillé par une forte famine Et par la soif, et cette femme frêle comme une gamine Ne pouvait résister aux cent terribles coups Que je lui donnai, plein d’un étrange courroux, Comme si je voulais assouvir une vengeance, Avec un énorme os, sans aucune indulgence. Je pris sa nourriture et son eau, mon butin, Et mangeai et bus en voyant les yeux éteints De ma victime, dont la mort était aussi sûre Que la mienne, et dont les mortelles blessures Ensanglantaient la tête. Quand l’esprit me revint, De mon effroyable forfait je me souvins Et pleurai amèrement, assis dans les ombres De cette grotte aussi sinistre que sombre. Au septième jour, il ne me restait qu’un morceau De pain décharné, et seulement un peu d’eau. Je crus tout à coup ouïr quelque chose marcher vite ; Je m’en approchai, cette ombre prit la fuite Et s’arrêtait, soufflant, et toujours en fuyant Un revenant qu’elle trouvait sans doute effrayant. Je la poursuivis fort longtemps, intrépide. Bien que cette chose fût plus que moi rapide, Que je la perdisse trois fois et la retrouvai, Je continuai à la suivre et j’arrivai Enfin devant une large et étrange brèche D’où je sentis venir une brise fraîche Et, chose singulière ! vis le soleil rayonner. J’en sortis et je fus dehors, fort étonné De me retrouver dans l’île, tout près des ondes. Ma joie fut tellement violente et profonde Que je m’évanouis sur-le-champ. A mon réveil, Je vis avec amour la mer et le soleil Et hors de ces lieux où j’allai par des sauvages Etre enterré, je me prosternai au rivage Pour remercier Dieu de son infinie bonté. Ne vous étonnez point si je viens vous conter Ce récit avec une émotion toujours vive, Quand on est sauvé d’une mort certaine, chers convives, C’est comme si on était par Dieu ressuscité. Je sus après que ce tombeau était hanté Par une bête de mer qui y trouvait son havre En venant, affamée, ronger les cadavres. Je revins à la grotte après m’être nourri De fruits, ramasser dans ce cimetière pourri De riches étoffes, des rubis et des pierreries Et maintes belles choses, ma faim et ma soif guéries. Nul ne pouvait me voir car ce mont inhumain Etait si haut qu’aucun salutaire chemin Ne menait à la ville. Des marins me virent Et je montai avec eux sur leur navire. Je leur parlai de cette île et de ces dangers Et des anthropophages. Comme ils furent étrangers Comme moi, en peu de temps ils la quittèrent. Nous passâmes par maintes merveilleuses terres, L’île des Cloches, de Serendib, de Kela, Et je revins enfin, de ces aventures las, A ma demeure et à ma terre natale Me reposer doucement, loin des ondes fatales. »
Sindbad acheva son récit, et se taisant A Hindbad étonné fit le même présent, L’invitant à revenir à la nuit suivante A sa demeure, avec des prières ferventes, Ainsi que les autres convives, pour écouter De son cinquième voyage le récit redouté.
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